« Ma thèse en 3500 signes »

Quand les maths viennent à la rescousse du fromage

Des scientifiques de l’unité SayFood ont établi pour la 1ère fois avec leurs partenaires un modèle innovant pour la prédiction de l’acidification du lait en cas d’attaque par des phages. Il représente une première étape vers la conception d’un outil pour aider les fromagers dans leur production. Ces travaux s’inscrivent dans le cadre du projet européen E-MUSE*.

MT 3500 _Michele Bou Habib
© Freepik

Mots clés : modélisation ; système dynamique ; industrie laitière ; bactériophage

L'acidification du lait, étape clé de la production fromagère

Difficile d'imaginer un monde sans raclette l'hiver ou sans parmesan sur nos pâtes ! Pourtant l'industrie fromagère fait face à de véritables menaces. En particulier, l’attaque des bactéries laitières par des virus…

Tous les fromages, quel que soit leur type, sont issus du lait. L'une des étapes clés de la fabrication du fromage est l'acidification du lait. Cette étape a une forte influence sur la texture et le goût du produit final. Pour acidifier le lait, on ajoute des bactéries lactiques, responsables de la conversion du sucre (lactose) en acide lactique. Cependant ces bactéries peuvent être attaquées par des virus appelés bactériophages ou "phages". Ces phages pénètrent les bactéries saines, les infectent et les font exploser, libérant de nouveaux virus. Ce cycle peut conduire à un retard, voire à un arrêt de l’acidification, entraînant le gaspillage de matières premières, des pertes économiques et des impacts environnementaux négatifs.

Des scientifiques de l’unité SayFood se sont intéressés à ce phénomène en ayant recours à la modélisation. Avec leurs partenaires, ils ont ainsi construit un modèle capable d'aider les fromagers dans leur production. Il a en outre permis de comprendre les mécanismes impliqués. 

 

Un modèle pour prédire les attaques de phages

Le modèle qu’ils ont développé est un modèle "mécaniste dynamique" : il traduit les phénomènes biologiques, physiques et chimiques en équations mathématiques. Ces équations décrivent l'évolution dans le temps des variables clés du système d’acidification : les bactéries saines et infectées, les phages et l'acide lactique.

Pour construire et valider le modèle, des expériences d'acidification du lait ont d’abord été menées avec une souche de bactéries et une souche de phages : 48 combinaisons différentes de concentrations initiales de bactéries et de phages ont été utilisées. Les résultats obtenus ont confirmé que, en l'absence de phages, l'acidification est réussie et d'autant plus rapide que la concentration initiale de bactéries est élevée.

En présence de phages, trois situations ont été distinguées :

  • une situation de succès (forte concentration de bactéries, faible concentration de phages),
  • une situation d'échec (faible concentration de bactéries, forte concentration de phages),
  • une situation de transition entre les deux.

Ces deux dernières situations sont à éviter pour garantir la réussite de l’acidification.

Le modèle a été établi pour décrire les phénomènes les plus pertinents tels que : la croissance des bactéries, l’inhibition de la croissance par l’acide, l’attaque des phages, la lyse (mort) des bactéries, etc. Inspirées de modèles déjà existants, les équations ont été adaptées au cas de l’acidification du lait.

 

Un outil prédictif simple et efficace avec plusieurs avantages

Pour utiliser le modèle, il suffit de lui fournir n’importe quelles conditions initiales en phages et bactéries ou les résultats de l’acidification précédente. Il identifie alors comment le système va évoluer, ce qui permet d’aider le fromager dans sa décision : poursuivre ou arrêter la production.

Ce modèle permet également d’estimer des paramètres biologiques comme les vitesses de croissance des bactéries et d’attaque des phages. Ces paramètres sont ainsi obtenus de manière simple et peu coûteuse. 

En outre ce modèle est facilement adaptable à d’autres couples de souches bactéries/phages.

Enfin, une analyse mathématique approfondie a aidé à identifier et comprendre la dynamique des interactions phage-hôte.  Elle devrait ainsi contribuer au développement de stratégies de lutte contre les attaques de phages dans l'industrie laitière.

*Ces recherches sont réalisées dans le cadre du projet européen E-MUSE : Complex microbial Ecosystems MUltiScale modElling: mechanistic and data driven approaches integration. Elles ont reçu un financement du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne dans le cadre de la bourse Marie Skłodowska-Curie, accord N° 956126.

Copyright et avis légal : Le contenu reflète uniquement le point de vue de l'auteur. L'Agence exécutive pour la recherche et la Commission ne sont pas responsables de l'utilisation qui pourrait être faite des informations qu'il contient.

Voir aussi

Portrait BOU HABIB Michèle

 « Michèle Bou Habib est rédactrice de cette actualité web. Les recherches qu’elle présente ont été réalisées dans le cadre de sa thèse de doctorat qu’elle a brillamment soutenue en décembre 2024. Préparée au sein de l’unité SayFood dans le cadre du projet européen E-MUSE, elle s’intitule : « Développement et analyse théorique d’un modèle dynamique pour l’attaque de phages dans l’acidification du lait pour la production de fromage »

 

 

MT 3500

« Ma thèse en 3 500 signes » est une action destinée aux doctorant.es préparant leur thèse au sein de l’unité mixte de recherche SayFood, INRAE / AgroParisTech « Paris-Saclay Food and bioproduct Engineering ». Elle vise à développer les capacités des jeunes chercheurs et chercheuses à communiquer vers le grand public et s'intègre dans la formation par la recherche des doctorant.es. Ils/elles sont accompagné.es dans la rédaction d’une actualité web présentant leurs travaux de recherche en 3 500 signes (environ). Destinée au grand public, l’actualité est ensuite publiée sur le site web de l‘unité, avec le nom des jeunes chercheurs et chercheuses qui apparaissent comme rédacteur ou rédactrice.